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Est-ce que les guides s’écoutent trop parler ?

Lors d’un échange avec d’autres guides conférencières, j’ai entendu une personne partager son expérience. En fin de visite, elle avait l’habitude de demander aux gens de lui dire les 3 choses qui les avaient marqués. Sa conclusion était : ce qui les a marqués, c’est les moments où j’ai été la meilleure dans mes explications. 

Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Pire, je trouve qu’elle illustre l’un des travers de notre métier : on s’écoute trop parler.

Moi la guide au centre de tout

Quand on est guide, et c’est vraiment une tendance dans laquelle je m’inclus, on croit un peu trop souvent qu’on peut tout manipuler, qu’on a le pouvoir sur le groupe, que par la seule force de notre commentaire, notre travail, notre expérience, notre volonté, on va pouvoir transmettre des connaissances, montrer aux gens ce qui nous émerveille, partager notre passion, etc.

Quand on est guide, on s’écoute beaucoup parler, on pense à ce qu’on va dire, à ce qu’on a oublié de dire, à ce qu’il faudra bien penser à dire, etc. Et on oublie malheureusement un peu tout le reste.

Les mauvaises expériences de visites que j’ai, celles où on nous a fait rester debout en plein soleil pendant 20 minutes alors qu’il y avait de la place assise à l’ombre à 15 mètres, celle où on nous a fait rester debout devant une maquette pendant 45 minutes (c’était atroce), c’est souvent à cause de ça. La guide ne pensait qu’à ce qu’elle avait à nous dire, et nous oubliait totalement. Elle ne voyait pas qu’on crevait de chaud, qu’on avait le soleil dans les yeux, qu’on se tortillait parce qu’on en avait marre d’être debout sans bouger.

Quand on ne pense qu’à nous, notre texte, nos discours, on oublie de prendre soin des gens.

J’ai des choses à vous dire, arrêtez-vous et écoutez moi

On ne va pas revenir sur ce sujet qu’on a déjà abordé : si on veut que les gens soient attentifs, il faut les chouchouter, les soigner. Ça veut dire : penser à eux, avant de penser à ce qu’on va leur dire. Si vous ne l’avez pas encore lu, allez-donc jeter un œil à notre article sur ce sujet. 

En tant que guide, on se plaint souvent des publics difficiles (collégiens, entreprises, etc), et nous les premières. Mais à force d’y réfléchir en équipe chez Cybèle, on a réalisé que parfois, on se plaignait mais on ne faisait pas énormément d’efforts pour s’intéresser à eux, essayer de se mettre un peu plus à leur niveau. Parfois, on sent que le groupe va être difficile, qu’il ne va pas simplement boire nos paroles, et on est démuni·es. On ne sait pas entrer en dialogue et donc on se bloque. 

“Il faut savoir que…”

Quand j’étais en licence de guide, une professeure nous a fait la chasse toute l’année pour nous empêcher de dire “il faut savoir que”. Et elle avait raison ! (Raphaëlle, si tu nous lis : merci !) Parce qu’il n’y a RIEN qu’il faille absolument savoir.

Il y a bien sûr une exception, parfois il y a besoin d’une information spécifique pour comprendre tel événement. Mais honnêtement, de toutes les fois où j’ai entendu une guide commencer sa phrase par “il faut savoir que”, ce n’était jamais quelque chose qui servait à comprendre la suite. 

Ce tic de langage qu’ont beaucoup d’entre nous n’est évidemment pas volontaire ou choisi. Mais illustre bien cette posture : je ne me demande pas si les gens veulent savoir, si ça les intéresse. Je pars du principe qu’il FAUT savoir. Si ça m’intéresse, ça doit intéresser tout le monde. 

On a deux exemples pour illustrer ça. D’abord, c’était il y a quelques années, dans une visite guidée d’une ancienne apothicairerie. Nous étions un petit groupe avec plusieurs enfants qui devaient avoir entre 7 et 10 ans. La guide était passionnée par l’histoire de la révolution (qui n’avait pas grand chose à voir avec le lieu où nous étions mais soit) et a commencé à nous raconter une histoire très gore et très glauque de décapitation à la guillotine ratée. Les enfants, évidemment traumatisés, se mettaient les mains sur les oreilles et se cachaient dans les jupes de leur mère. Mais la guide prenait tellement de plaisir à raconter son histoire qu’elle ne s’en est même pas rendue compte et ne s’est pas arrêtée. 

L’autre exemple, est tiré de nos visites. Nous proposons une visite historique et coquine et qui s’appelle “historique” justement parce que nous parlons d’histoire, nous donnons des repères sur l’histoire de la ville, et l’histoire de la sexualité. 

Parfois, nous accueillons des groupes d’enterrement de vie de jeune fille, qui ont vu “coquine” mais pas “historique”. Certains groupes nous montraient clairement que les parties historiques les ennuyaient. Mais nous, on n’a jamais eu envie de se contenter de raconter quelques histoires de cul sans aucun contexte historique, donc on continuait de les assommer avec la partie historique et généralement, personne ne passait un très bon moment.

Désormais, quand on sent que le groupe n’est pas du tout intéressé par la partie historique, on l’enlève tout simplement. Certaines histoires n’ont même pas de date puisqu’il faudrait donner un petit contexte et que ce n’est pas ce que ces personnes viennent chercher. À la fin, elles ont passé un bon moment, et du coup, nous aussi parce qu’on a moins ramé. De notre côté, c’est certain, on n’est pas très satisfaites, on se dit que c’était vraiment une visite pas très intéressante. Mais on est là pour intéresser qui ? Nous ou notre public ?

Comment entrer en relation ?

Il nous semble important de ne pas oublier toutes les choses qui peuvent interférer entre notre discours et notre groupe, et avoir un impact qui n’aura rien à voir avec le fait qu’on explique bien ou pas. 

  • Il y a les connaissances préalables du public : quelles images le mot “Moyen-Âge” fait apparaître dans leur tête ? Des châteaux forts à la Viollet-le-Duc ? Des Cathédrales ? La cour des miracles de la boue et des gens sales ? Des dragons ? 
  • Il y a leurs centres d’intérêts : celles et ceux qui se passionnent pour telle époque seront bien plus réceptifs quand j’en parle, même si je suis un peu moins bonne que sur d’autres parties de ma visite.
  • Il y a les conditions extérieures qui vont favoriser tel ou tel moment : si à un endroit il y a trop de vent, les gens écouteront moins. Si à un moment on peut s’asseoir, même si l’histoire est plus longue et plus compliquée les gens écouteront mieux, etc.
  • Il y a la fatigue des gens, celle de la guide aussi.
  • Et puis il y a tout simplement leur disponibilité à ce moment-là. Est-ce qu’ils ne se sont pas vus depuis 3 ans et ont 1000 choses à se dire ? Est-ce qu’ils viennent de se disputer ? Est-ce qu’ils ont vécu un deuil récemment ? Est-ce qu’ils sont sur le point de se marier et pensent tout à fait à autre chose ? 

Bien sûr, parfois je peux avoir des indices, des infos là-dessus. Mais le plus souvent, j’ignore tout, et ce n’est pas 3 minutes de discussion avant la visite qui me permettront de tout découvrir. Cependant, tant que je reste consciente que tout cela existe, que je cherche à capter les signaux faibles, je peux mieux m’ajuster à mon groupe.

Et alors, c’est une vraie relation d’échange qui apparaît, pas un truc descendant où je déverse mon savoir dans des contenants sans me demander s’ils ont la bonne forme où s’ils sont assez grands.

Là encore, un exemple. Un jour, on discutait avec un office de tourisme qui commençait à proposer des visites de 1h au lieu de 1h30. Ils s’étaient rendu compte que pour beaucoup de personnes, 1h30 c’était trop long, le public préférait des visites courtes. La réaction de certaines guides a été de râler parce qu’elles n’auraient pas le temps de dire tout ce qu’elles avaient à dire et que les gens ne s’intéressaient vraiment pas assez s’ils n’avaient même pas 1h30 à passer en visite guidée.

Ces guides font des visites pour elles-mêmes, pour s’écouter parler. 

Il n’y a pas que la guide dans la vie

Alors certes, l’exemple donné en introduction n’est pas 100% à côté de la plaque. Bien sûr que s’il y a un passage que j’explique mieux, si je suis plus claire, il y a beaucoup plus de chances pour que mon public s’en souvienne et s’intéresse. Mais il ne faut pas oublier les dizaines d’autres facteurs qui peuvent jouer dans cette appréciation. Je ne suis qu’un tout petit maillon de cette grande chaîne, rien de plus.

Guide, musicienne et conteuse, Clémence est un peu lyonnaise et 100% Rhônalpine : elle fut nourrie à la crème de Bresse et à la châtaigne d’Ardèche. Passionnée par le monde médiéval et l’architecture, elle adore raconter des histoires.

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