
Comment faire entrer les adultes dans un conte ?
On a déjà écrit un article intitulé La visite contée n’est pas (que) pour les enfants. On attaque avec un angle un peu différent cette fois parce que la question nous est constamment posée : Comment faire pour que les adultes adhèrent à un conte ?
Les adultes se nourrissent aussi de récits et ils aiment ça.
Les adultes lisent des romans, regardent des films et des séries… Ils sont tout le temps confrontés aux récits. La seule différence avec les enfants, c’est qu’on ne leur lit (ni ne raconte) plus jamais d’histoire. Ils les lisent seuls. Ils sont donc ravis que quelqu’un leur racontent une histoire. Les réactions sont moins spontanées que les enfants (quoi que) mais en les observant, on voit qu’ils suivent. Déjà, s’ils ne papotent pas c’est bon signe. Et surtout, ils réagissent, même si c’est parfois discret (un hochement de sourcil, un demi-sourire, une paire de lunette de soleil quand c’est trop triste…)
Ne pas avoir peur.
Le problème avec les adultes, c’est qu’ils ont développé une certaine distance avec la fiction (cette distance arrive en général vers 9 – 10 ans). On accueille tous les âges en visite et on l’a constaté : à 8 ans, ils sont à fond avant même de commencer, et à 11 ans, ils traînent la patte au début. A partir de là, ils se disent qu’ils ne faudrait quand même pas les mener en bateau ! Et ils arrivent avec beaucoup plus d’attentes et de méfiance.
Quand ils arrivent dubitatifs, en tant que guide, ça nous met en alerte parce qu’on a peur qu’ils n’adhèrent pas. Et lorsqu’on guide en ayant peur que notre public n’adhère pas, on ose moins aller dans le jeu et l’interprétation, on n’assume pas, on s’excuse d’être là. Et c’est là qu’on offre la possibilité au public de ne pas adhérer…
Alors que si on ose, qu’on assume pleinement le jeu, le conte, le récit, on les embarque hyper facilement ! (spoiler : c’est encore plus le cas avec les ados réticents parce qu’ils sont dans la phase où ils ne veulent surtout pas être pris pour des bébés, alors qu’en fait, ce sont encore des bébés 🤫 !).
Démêler le vrai du faux.
Une des réticences pouvant bloquer les adultes, c’est qu’ils ont besoin de connaitre “la vérité”. C’est louable. Si on leur raconte une fiction et qu’ils ne savent pas si c’est vrai ou faux, certains vont mal le vivre. Ne pas distinguer le réél de l’inventé, ça peut être très frustrant pour une partie des visiteurs et visiteuses. Surtout dans le domaine de la visite guidée, qui est censée raconter la vérité vraie !
L’astuce c’est de prendre un vrai temps en fin de visite pour parler des sources et dire de quoi est inspiré le récit. Et pour les adultes pour qui c’est difficile et qui posent la question durant la visite, on leur promet qu’à la fin on prendra le temps d’expliquer. Normalement ça les soulage et après, ils sont d’accord pour se laisser embarquer dans l’histoire.
Soigner son intro.
Quand on dit à des enfants qu’on va leur raconter une histoire, tout est normal, rien ne les étonne et ils sont directement prêts à plonger dedans. Pour les adultes, il faut appuyer (un peu lourdement pour être honnête) pour qu’ils lâchent leur intellect et qu’ils se laissent aller au récit. C’est facile pour certains, plus compliqué pour d’autres. Faire une intro totalement décalée et grandiloquente, ça permet a tout le monde de comprendre qu’ils sont dans une visite différente et d’oublier leurs attentes pour se laisser porter par la guide. Faire ce type d’intro, ça va avec le fait d’assumer pleinement et de ne pas leur laisser le choix. Ce que vous proposez, c’est ça !
Au début, c’est difficile pour tout le monde…
Quand on venait de commencer les visites Cybèle et qu’on n’était pas encore rodées sur ces questions, on a accueilli un groupe de personnes de la bonne société et plutôt imbues d’elles-mêmes. On avait divisé le groupe de 60 en 3 groupes et chaque groupe faisait 4 visites. Autant vous dire que quand on commence tout juste notre activité, c’est un énorme client.
La première visite se passe. On a pas énormément d’échange avec le public, mais il n’arrive rien de problèmatique. La deuxième visite commence, et là, chaque guide reçoit une mise en garde désobligeante : “Vous allez nous parler comme à des adultes maintenant, vous avez des gens importants et cultivés devant vous”. Nous étions évidemment tous les 3 totalement séchés par cette intervention. Nous avons décidé pour la première fois (et la seule fois en 13 ans d’existence de Cybèle) de modifier les deux visites suivantes pour faire des visites classiques qui correspondraient mieux à leurs attentes.
Ça n’est plus jamais arrivé depuis. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque on débutait. On n’avait aucune expérience et on était bien moins confiantes dans nos produits. Probablement que ces doutes transparaissaient et que les visiteurs se sont sentis légitimes à nous déstabiliser en nous “remontant les bretelles”. Depuis, on a amélioré nos techniques (d’écriture et de guidage) et on a aussi eu plein de publics bienveillants qui nous ont fait des retours critiques mais sympatiques. Grâce à ça on a progressé et on a gagné en assurance.
En vérité, il n’y a pas vraiment d’autres choses à faire que d’y aller à fond et de jouer vraiment, dès l’introduction. Dans nos publics il y a probablement des adultes qui parfois n’adhèrent pas (parce qu’ils ont mal lu la description ou que quelqu’un les a amenés là sans les prévenir) mais ils ne nous le disent pas parce qu’ils voient que c’est une proposition travaillée et assumée.
Par ailleurs, on est bien plus rigoureux sur nos sources et on en parle aux visiteur·euses à chaque fin de visite. De quoi les rassurer sur le sérieux de notre travail et la fiabilité de ce qu’on raconte. Un fond sérieux et un ton décalé.
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